
L’absurde est ce que l’on ne comprend pas, ce qui ne veut pas dire qu’il soit dénué de tout sens. L’absurde est plus insensé qu’insignifiant. Ce qui est absurde veut bien dire ou représenter quelque chose mais l’on est incapable d’en déchiffrer le contenu. Ainsi, l’absurde est déroutant, intriguant, angoissant même pour beaucoup. Ne pas comprendre peut être perçu comme un danger, c'est-à-dire ne savoir que faire face à une situation donnée, avec la peur de ce qui sera produit de cette même situation dont la raison n’a pas su saisir toutes les données et subtilités. Heureusement, l’incompréhension n’est pas uniquement anxiogène. L’absurde peut aussi être vécu comme un point de départ. Autrement dit, l’obscur est ce qui peut motiver le curieux à chercher la lumière, à franchir une porte derrière laquelle se trouvera éventuellement plus de clarté sur le monde et sur soi-même.
L’absurde est également là où nous souhaiterions qu’il y ait du sens alors que seul le silence s’impose. Il y a là des antinomies qui alimentent l’absurde. Albert Camus à ce propos définissait l’absurde comme le choc d’une confrontation entre deux idées opposées, et il estimait que « l’absurdité sera d’autant plus grande que l’écart croîtra entre les termes de la comparaison. » La comparaison est une activité humaine, ce qui signifie que c’est l’homme qui crée de l’absurde. Le monde en soi ne l’est pas, c’est la représentation que l’on s’en fait qui le qualifie d’absurde. Comme le démontre Le mythe de Sisyphe, l’absurde naît de « cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. » Ainsi le réel se soumet à notre interprétation. Il n’y a que l’homme qui puisse en donner un sens, ou ne pas le faire en toute lucidité, en acceptant que le monde soit silencieux sur sa raison d’être. Meursault, le héros de L’Etranger, rencontre la sagesse en empruntant cette seconde voie une fois condamné par la justice pour un crime dont le mobile est incompréhensible : « Vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore… » L’absurde n’est pas absolu, il n’est pas dans les choses mais dans les esprits. Ainsi, dire que la vie est absurde n’est pas une vérité, mais un sentiment