LE TEMPS DES MONTRES LIP CONJUGUÉ AU PRÉSENT
Aux portes de Besançon, le patron de SMB, à l’origine du retour de la marque sur ses terres, a accueilli Piaget, Burgy et Jeanningros. Trois figures du conflit Lip
Besançon. L’annonce date du 18 mars dernier (notre journal du 19). À la Foire de Bâle. L’effet d’annonce, lui, n’en finit plus de se propager. Dans les médias de France et d’ailleurs. Ce qui en dit long sur « la légende Lip ». Et le pouvoir d’attraction de la marque. Comme intact, malgré les vicissitudes du temps.
Lip, maison née en 1867, à Besançon. Puis marque partie dans le Gers, en 1990, de façon aussi improbable que… bien réelle. Car rachetée par un entrepreneur de ce département proche de Toulouse. Et Lip revenu dans son pays natal, un quart de siècle plus tard. Par la volonté commune de la MGH (le nom de la maison gersoise), et de la SMB, la société d’ici. Laquelle a aussitôt cajolé les trois lettres emblématiques, symboles du retour de l’enfant. À qui a été d’emblée aménagée une jolie place dans ses murs de Châtillon-le-Duc, près de Besançon.
Donc, l’annonce date d’il y a moins de 3 mois. L’accord entre la MGH et SMB avait été signé dans le plus grand secret, il y a 6 mois.
Les montres Lip de nouveau made in Comté (avec les réserves d’usage sur cette expression, lire l’encadré ci-contre) commenceront à être livrées à partir de la semaine prochaine. Dans les quatre boutiques Maty (autre belle maison de la capitale comtoise) de l’agglomération bisontine. Ainsi que dans l’élégante boutique Maty de Paris, près de l’Opéra Garnier. « Et chez 55 détaillants horlogers bijoutiers, un peu partout en France », explique Philippe Bérard.
Dans ce contexte, il était tentant de demander à d’anciens hérauts du conflit né en 1973, réputé le plus atypique et le plus imaginatif du mouvement ouvrier français… Oui, il était tentant de leur demander s’ils avaient envie. D’aller voir les montres d’aujourd’hui, telles que les conçoit SMB. Dans leur cocon.
« Lip vivra »
Tentant d’abord (il est tout de même chez lui !) de savoir si son patron et fondateur, Philippe Bérard, acceptait de recevoir une telle… délégation. Eh bien, cette initiative de notre journal a été immédiatement acceptée par les deux « parties ». Ouf.
Qui figurait dans celle des anciens, tous les trois syndiqués, à l’époque, à la CFDT ? Eh bien Charles Piaget, 86 ans, « figure » la plus connue du conflit, qui fut mécanicien outilleur dans l’usine alors basée dans le quartier bisontin de Palente. Michel Jeanningros, 83 ans, qui y fut cadre commercial. Et Raymond Burgy, 76 ans, qui y fut horloger. Raymond Burgy le souligne sans vanité : « Je suis le seul à avoir suivi la marque Lip jusqu’au bout de sa présence ici, il y a 25 ans. Donc aussi chez Kiplé à Morteau, qui l’avait reprise » (au moment où l’usine de Palente a fermé ses portes, au tout début des années 80). Kiplé où il fut chef des achats durant 10 ans, jusqu’à la vente « gersoise », en 1990.
Réputé pour son sens de l’organisation (y compris lors des épisodes « autogestionnaires » en 1973, et durant l’expérience des coopératives à partir de 1977), « Raymond » a appris à évaluer la viabilité d’une entreprise.
Le choix des deux collections Lip relancées par la SMB (lire ci-contre) lui paraît « un très bon début ». En expert, il apprécie la qualité technique des montres, et la démarche commerciale qui les accompagne. « Je ne croyais pas que je pourrais revenir un jour dans une usine qui fait des Lip » ajoute-t-il. Avec une émotion partagée par Charles Piaget et Michel Jeanningros. « Mais je n’en oublie pas le conflit. Notre slogan en 1973 c’était “Lip vivra”. Donc pour nous c’est une forme de victoire. »
Objectif 30.000
Attentif et ouvert, Philippe Bérard, le patron de SMB qu’il a créée en 1988, a consacré près de 5 heures, ce mardi, à ces trois anciens Lip. Pour des échanges denses, et riches d’expériences partagées.
Tous trois ont visité l’usine. Elle s’étend sur 5.000 m2 , et emploie 120 salariés. Ce qui en fait la plus importante société horlogère de France. Y compris par sa production : 1,5 million de montres par an. Avec notamment les marques GO et Certus, dont le design (comme les modifications apportées sur les Lip) est fait maison.
SMB ressort deux collections de Lip. Les « historiques » (du temps de Fred Lip, qui quitta la société en 1967). Soit celles dites de Gaulle, Churchill, Mermoz, Himalaya… Avec des mouvements quartz ou mécanique-automatique Et les « design » (du temps de Claude Neuschwander, du nom du patron à la barre de la maison bisontine de 1974 à 1976, après le premier conflit). Soit, notamment, celles de Roger Tallon, dont sa fameuse « Mach 2000 ». Prix : de 159 à 500 €.
Les mouvements à quartz sont fabriqués chez ISA (Villers-le-Lac, Doubs). Les mouvements mécaniques viennent de Myota, au Japon. La plupart des boîtiers sont produits en Asie. Comme les bracelets en acier. Ceux en cuir sont pour partie de fabrication française.
SME dispose d’un atelier de SAV (service après-vente). Précision importante, car au moment du départ de Lip de Besançon, en 1990, nombre de détaillants en horlogerie-bijouterie ont refusé de continuer à vendre la marque, le SAV ayant disparu avec l’entreprise bisontine.
C’est la célèbre maison Mouche à Besançon qui fait l’emboîtage des Lip de SMB. Le patron de SMB envisage de créer dans ses murs un atelier de montage et d’assemblage avec une dizaine d’horlogers. Il espère vendre 30.000 Lip par an à partir de 2016. Si cet objectif est atteint, alors des créations d’emplois seront envisageables.
« Sans doute n’y aura-t-il pas beaucoup d’emplois créés, mais cette relance de la marque est très intéressante », commente Charles Piaget. « C’était inespéré, bravo ! », ajoute Michel Jeanningros.
Joël MAMET