Le Point a écrit:
Dans les gares, ses horloges aux aiguilles phosphorescentes à fond noir habillent tous les quais de France. Dans les hôpitaux, équipées d'un écran de leds, elles guident avec une précision extrême le geste des chirurgiens. Devant Notre-Dame de Paris, c'est le mélodique tintement des cloches que l'entreprise a installées qui se fait entendre. Dans presque tous les stades, ce sont ses panneaux lumineux géants qui affichent les scores des matchs retransmis en direct. Ses réalisations sont partout et peut-être même au fond de votre sac, si vous possédez l'un de ces badges d'accès qui aident votre employeur à contrôler votre temps de travail. Ces objets divers mais tous liés au temps, c'est l'entreprise Bodet qui les fabrique à Trémentines, petite commune de Maine-et-Loire de 3 500 âmes, perdue dans le Choletais.
Un bon filon
Tout a commencé en 1868, lorsque le curé du village confia à l'artisan Paul Bodet l'installation d'une nouvelle pendule sur le clocher de l'église, en lambeaux depuis la Révolution. L'horlogerie n'était pas sa spécialité, il était ébéniste. Mais le curé fut si insistant qu'il finit par céder, filant dans le Jura dégotter le mécanisme qui aiderait à la confectionner. À peine avait-il livré son premier modèle qu'il se mit à voler au secours de toutes les églises de la région. Un bon filon."Tout l'Anjou finit par s'arracher ses services et, en 1869, il créa sa propre société : Bodet", raconte Jacques Burel, salarié depuis trente-cinq ans, désormais à la tête du département horlogerie. Cent quarante-cinq ans plus tard, l'entreprise, qui affiche un chiffre d'affaires de 65 millions d'euros, tourne avec 630 salariés et fabrique chaque année pas moins de 30 000 horloges. Elles donnent l'heure aux métros de Taïwan et du Caire, aux aéroports de Bilbao et de Montréal, aux studios de télévision de la chaîne Al-Jazira ou à l'antenne de la Sorbonne à Abou Dhabi. Et, lorsque nos joyaux patrimoniaux ont besoin d'être restaurés, c'est encore à Bodet qu'on fait appel. Le chronologomètre du musée des Arts et Métiers révélé au grand public en 2005 ? C'est Bodet. Tout comme la monumentale horloge de la gare de Lyon, avec ses quatre cadrans de 7 mètres de diamètre, construite par Paul Garnier et dévastée par la tempête de 1999.
Le plus étonnant, c'est qu'un siècle et demi après les débuts un membre de la famille Bodet soit encore aux manettes de l'entreprise. L'arrière-petit-fils du fondateur, précisément, débarque à toute allure dans le parking de l'usine de Trémentines, au volant de sa Citroën C6. Jean-Pierre Bodet a rejoint l'entreprise en 1973, à 24 ans, tout juste diplômé de l'Edhec. Avant lui, c'est son père, Pierre, qui a fait passer la petite affaire artisanale au rang d'entreprise industrielle. Pressentant que le marché de l'horlogerie d'édifice serait bientôt saturé, cet ingénieur en électricité et mécanique des Arts et Métiers avait investi un nouveau créneau : l'horlogerie industrielle. Il avait ainsi équipé écoles, usines et entreprises. Il se lança aussi dans le chronométrage sportif.
Quatre générations
Jean-Pierre Bodet, qui est donc le représentant de la quatrième génération, est âgé de 65 ans. Il est celui qui a fait basculer l'entreprise dans les nouvelles technologies. Dans les années 90, il informatise tout le parc d'horloges. "En France, la position des aiguilles est synchronisée sur la fréquence émise par France Inter, qui délivre le message horaire complet à une horloge mère qui commande les autres cadrans", explique-t-il. Dans le monde, c'est un satellite qui prend le relais. "Nous avons mis au point un logiciel pour gérer le système à distance, ce qui est plutôt utile quand un aéroport est équipé de 600 horloges." Mais ce n'est pas tout. Jean-Pierre Bodet a également innové avec les "systèmes de mesure et de gestion du temps", une activité qui pèse 25 millions d'euros, avec 25 000 clients. Il s'agit de logiciels qui aident les entreprises, via des badges, à organiser les 35 heures et la planification des horaires des salariés.
Dans un tout autre registre, Bodet est également passé maître dans la restauration de cloches et la fabrication sur mesure de beffrois. "Je me suis toujours demandé pourquoi on ne restaurait pas les cloches abîmées au lieu de les remplacer par de nouveaux modèles", dit-il. Après deux ans de recherches et d'essais, il a breveté une technique de soudure au bronze qui, en redonnant aux cloches usées leur sonorité d'antan, fait des miracles : à Sidiailles, dans le Cher, c'est la plus vieille cloche de France, qui date du XIIIe siècle, qu'il a sauvée de la casse. Mais sa plus grande fierté reste la restauration du clocher de l'église Saint-Sulpice, à Paris. En vingt-deux ans, l'entreprise a restauré pas moins de 1 100 cloches, devenant ainsi le premier campaniste de France. Au-delà des frontières, tout le monde le sait, Bodet, c'est un savoir-faire unique.
Made in France
La société a des filiales en Espagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, aux Pays-Bas. Et, plus surprenant, Bodet s'est même implanté en Suisse. "Les Suisses sont spécialisés dans les montres, nous dans les produits industriels ; ils ne possédaient pas notre savoir-faire", assure-t-il. Les réalisations du groupe vont jusqu'à Varsovie, où les techniciens maison ont par exemple égayé le bâtiment stalinien du ministère de la Culture avec quatre horloges de 6,40 mètres de diamètre. "Dernièrement, nous avons ouvert une antenne à Dubai pour équiper les hôpitaux, les écoles et les universités", détaille le patron. Lorsque La Mecque a eu besoin de renouveler son stock d'horloges, c'est à Bodet qu'elle a passé commande. Celle-ci a été estimée à 1,5 million d'euros, elle comprenait 40 horloges plaquées à l'or 23 carats. "Il a fallu mettre au point un logiciel capable de calculer quotidiennement les heures des cinq temps de prière en fonction du lever du soleil." Une prouesse ! Et pas question de délocaliser. Bodet tient au made in France : "À l'exception des composants électroniques, tous nos produits sont fabriqués en Maine-et-Loire." La famille a toujours voulu garder le contrôle "pour ne pas subir la pression des résultats à court terme".
Jean-Pierre Bodet, qui habite dans le village voisin de Vezins, où sa femme a longtemps occupé le fauteuil de maire, sait que son temps à la tête de l'entreprise est compté. Mais il se laisse encore cinq ans avant de passer la main... sans doute à l'un de ses deux fils, qui travaillent dans le groupe. Lors de l'inauguration des cloches de La Tourlandry, en 2013, Pierre Bodet, qui venait de souffler ses 92 bougies, n'aurait manqué pour rien au monde la spectaculaire montée des cloches à 25 mètres de hauteur.
source : Cf http://www.lepoint.fr/economie/video-bo ... 658_28.php
via MMPM
