En portant à nouveau cette montre aujourd'hui, je me faisais la réflexion que son précédent propriétaire, mon oncle Serge, nous avait quitté prématurément il y a déjà 30 ans, en 1992.
Je n'ai "hérité" de cette montre qu'en 2008, lorsqu'un autre de mes oncles, apprenant ma nouvelle passion pour les montres me la remit, car il n'en avait lui-même pas l'usage.
Je me disais donc, comme pour la
LOINS de mon lointain cousin, que cet objet avait traversé les ans, bien au-delà de la vie de son précédent propriétaire, et fonctionnait toujours.
Je m'en entretenais auprès d'Emma Peel, qui me faisait remarquer
une chose à laquelle je ne pensais plus, ou en tout cas à laquelle je n'avais jamais vraiment apporté beaucoup d'importance, c'est que
l'année de production de cette montre (1977) coïncidait avec la sortie du tout premier STAR WARS :

Or ce fait est moins anecdotique qu'il n'y parait, dans le cas qui nous occupe.
Il se trouve que l'oncle en question était extrêmement réservé. Austère, incroyablement taiseux.
Surveillant général de profession, dans un lycée de la région parisienne.
Je l'ai toujours connu avec son éternel costume trois pièces bleu foncé.
Pas un marrant.
Ascète, très maigre ; le visage dissimulé derrière une épaisse barbe noire… disons que ce n'était pas celui de mes oncles dont j'étais le plus proche (croyais-je alors) et encore moins le plus expansif, en comparaison avec les trois autres.
Il était néanmoins régulièrement présent lors de nos réunions familiales dominicales, quasi hebdomadaires, chez mes grands-parents maternels.
Je l'ai donc côtoyé durant toute mon enfance/adolescence et au tout début de ma vie de jeune adulte puisque j'avais 21 (ou 22) ans quand il avait passé l'arme à gauche, de cause mystérieuse.
Or voilà, il s'est passé quelque chose de surprenant, qui me plonge encore dans des abîmes de perplexité vis-à-vis de l'absurdité de nos existences (de la mienne en tout cas), et qui me conforte dans l'idée que la vie est parfois une saloperie sans nom, qui nous fait totalement passer à côté de gens qu'on croit pourtant connaître.
Lors d'un de ces déjeuners dominicaux, en toute fin de journée, la discussion arrive sur un terrain jamais emprunté dans notre cadre familial :
la science-fiction.
Je ne sais plus du tout pour quelle raison le sujet avait été abordé
Je pense que c'était suite à l'évocation de romans de Van Vogt,
le Cycle du Ā, dont on venait de me parler, car mon oncle m'apprit alors qu'il possédait ladite trilogie

et non seulement ces livres, mais qu'il lisait également Asimov, et surtout, ce qui m'avait le plus sidéré, qu'il était également fan de STAR WARS
J'étais stupéfait qu'il n'ait jamais abordé le sujet avec moi, alors qu'il devait pourtant savoir l'intérêt que j'y portais, perdu au milieu d'une famille fort peu disposée aux fantaisies galactiques.
De plus, que ce
surgé, à l'apparence sévère, puisse trouver un intérêt à ce genre (littéraire et cinématographique) fort peu répandu à l'époque, ça m'avait stupéfait.
Mon oncle était bourru, assez brusque.
Maladroit dans les relations humaines, dirons-nous.
Suite à cet échange relativement bref, je lui avais demandé s'il accepterait de me prêter son coffret Van Vogt… mais il m'avait rembarré en m'expliquant qu'il ne prêtait jamais ses livres. Je lui avais dit que je comprenais, et ça en était resté là
La semaine suivante (ou celle d'après), nous nous retrouvons à nouveau chez mes grands-parents pour le déjeuner du Dimanche… et mon oncle vient me voir, et me remet, je vous le donne en mille :
un coffret flambant neuf du Cycle du Ā en livre de poche

qu'il avait acheté pour me l'offrir.

Je dois dire que ce genre d'attention, venant de gens qu'on juge un peu froids et distants, à tendance à me bouleverser. Et je me souviens avoir été surpris, et extrêmement reconnaissant. Je l'avais chaleureusement remercié, et c'était sincère.
La semaine suivante (ou celle d'après), nous recevions un appel de la Gendarmerie de sa ville, qui nous demandait de nous rendre à son domicile (sans nous fournir de raison).
J'avais passé mon permis de conduire récemment ; je connaissais mal ma 'nouvelle' voiture ; me voilà en pleine région parisienne, à la tombé de la nuit (sans GPS à l'époque), avec à mes côtés ma mère décomposée, qui se doutait que quelque chose venait d'arriver… nous sommes arrivés à son appartement, en suivant la voiture de Gendarmerie, sirènes hurlantes, pour le trouver étendu dans sa cuisine.
Ça faisait apparemment trois jours qu'il était là ; le proviseur de son lycée avait fini par signaler son absence (ce qui ne lui arrivait jamais).
On n'a jamais su exactement ce qui lui était arrivé. Un genre d'AVC ou quelque chose comme ça, on n'a jamais su.
Je crois que je n'ai réalisé que des années plus tard, que j'avais côtoyé cet homme avec lequel j'aurais pu longuement échanger sur un sujet d'intérêt commun, sans jamais l'avoir su, et que je n'ai découvert que quelques semaines avant sa mort. Cette farce sinistre.
Il n'était pas bien vieux (je me demande même s'il avait atteint les 50 ans), et il devrait logiquement être encore des nôtres aujourd'hui.
J'ai souvent repensé aux discussions que nous aurions pu avoir à l'occasion de la sortie de la prélogie au début de ce siècle, et même des derniers épisodes (ratés), et nous serions probablement aujourd'hui en train de parler du Mandalorian et du
livre de Boba Fett, la dernière série en date
Et bien non. Il n'aura jamais connu tout ça. Lui qui était fan de SF, il n'aura pas vu "l'an 2000".
Je porte sa montre aujourd'hui, et je pense à lui.

Elle m'aura suivi en Normandie, en Champagne-Ardenne, et connaîtra sans doute bientôt une nouvelle région.
Mais ceci est une autre histoire.