Je crois que j'ai déjà raconté cette anecdote, mais c'est pas grave, je recommence.
J'ai fait les Beaux-Arts. Après deux années de prépa, on intègre l'atelier, et essentiellement, il n'y a plus de cours magistraux, on consacre l'essentiel de son temps à la préparation du projet de fin d'études, lequel sera jugé par un jury, et déterminera l'obtention du diplôme.
À cette présentation de diverses œuvres (dans mon cas, c'était des illustrations sous divers formats) s'adjoignait deux dossiers "techniques" regroupant l'ensemble de nos références.
Lors de la constitution de l'un de ces dossiers, je m'étais rendu compte que j'avais fait un contresens TOTAL de l'œuvre de l'un de mes peintres de référence.
Corot, pour ne pas le citer, que j'avais pris pour un poète fragile et torturé, qui produisait à mes yeux une imagerie romantique à la limite du fantastique.

Je ne sais pas pourquoi, j'imaginais un Anglais au teint blême, souffreteux, un peu rêveur...
Et là, la tuile, en fouillant la bio du personnage, je découvre que le mec est un plouc mal dégrossi, une brute, qui arrive en blouse d'atelier et les sabots crottés dans les salons où on l'invite, et que grosso merdo, le mec plante son chevalet dans la boue, sort ses brosses, et peint ce qu'il a sous les yeux, en s'essuyant périodiquement le nez dans la manche de son paletot. J'exagère un peu, mais c'est l'idée.
Le mec, c'est Ventura.

À l'arrivée, ça donne des merveilles, mais c'est pas voulu

Panique à bord, ça fait des années que j'ai ces images en tête, je ne peux pas juste le mettre de côté, il est trop présent comme référence à mes yeux.
Un peu merdeux, je file voir le directeur de l'école, qui se trouvait être notre prof de technique picturale en dernière année, et je lui fais part de mon embarras, et je lui pose tout de go la question suivante : "Ai-je le droit de voir dans une œuvre AUTRE CHOSE que l'intention initiale de l'artiste ?"
C'était un mec très sympa, avec un physique de chef d'orchestre, une chevelure à la Garfunkel pas possible, et il me répond que bien évidemment, OUI, mais que en tant qu'étudiant de la discipline, il est également obligatoire que j'ai connaissance de l'intention de départ, et d'une manière générale, de tout le contexte entourant la genèse de l'œuvre en question.
Tout ça pour dire qu'en définitive, chacun voit dans une image ce qu'il veut y voir. Et c'est ça qu'est bon.