Nous sommes fin 1970, sans doute en décembre. J’effectue mon service militaire et, à ce moment-là, je suis en Bretagne, c'est-à-dire fort loin de chez moi.
Rentrant pour une permission de 48 heures, je termine mon voyage, de nuit, à bord du Paris –Hambourg. Dans le compartiment où je m’installe, sont vautrés jeunes deux marins allemands, déjà entourés de canettes de bière vides alors que nous sommes encore Gare du Nord !... Je comprendrai, au fil d’échanges laborieux, que leur bateau, étant bloqué ou en panne au Havre pour deux ou trois semaines, ils en profitent pour rentrer passer quelques jours chez eux.
Très impatient d’être rentré, je demande l’heure à l’un des marins. Se méprenant sur ma question, il me montre avec fierté la Seiko qu’il a achetée peu de temps avant. Lors d’une escale lointaine, j’imagine, j’ai oublié les détails. Pour le satisfaire, je prends une mine admirative et lui bredouille un « Ya, schon ! sehr schon ! » des plus convaincants.
Il me fait alors un geste d’attente de la main, puis, se levant, il fouille dans son sac marin et finit par en sortir une autre montre, celle en fait qu’il a remplacée par la Seiko qu’il porte. Comme il me la glisse dans la main, je lui re-balance, poliment, un nouveau : « Schon ! sehr schon ! » et fait mine de la lui rendre. Mais il semble vouloir que je la conserve, et comme j’essaie de lui faire comprendre, par des mimiques, que je ne puis accepter, le ton change soudain brusquement : nos deux compères, sans doute échauffés par la bière, font mine de vouloir me casser la figure !... Ils sont deux et fortement charpentés : par prudence et dans un souci légitime de préserver la bonne qualité des relations franco-allemandes, j’accéderai à leur souhait…
C’est ainsi que j’entrai en possession de ma première Seiko. Je la porterai quotidiennement pendant quelques années, et avec fierté car la marque est dès cette époque-là pour moi – ne me demandez pas pourquoi ! – signe de grande qualité. Puis, à la suite de je ne sais quel souci (peut-être la couronne perdue…), je finirai par changer de montre…

