Je voulais quand même partager avec vous le chronographe acheté pour l’année de mon jubilé. Une madeleine de Proust.

C'est une icône horlogère des années 80/90. Amateurs de finitions furtives full-black, de titane, de style militaire ou de style Bauhaus, fuyez dès maintenant au risque de vous faire péter les deux rétines...

J'ai évoqué une madeleine de Proust car ce Chronomat est empreint de nostalgie à mes yeux. C’était la montre dont je rêvais adolescent, un rêve hélas inaccessible. Pour situer brièvement le contexte, un Chronomat or et acier coûtait à cette époque 22 870 FF lorsque le salaire net moyen français plafonnait à 10 200 FF (mes premiers salaires de jeune adulte étant davantage aux alentours de 6900 FF).

Comme le titre « Montres Magazine » en 1992, avec le Chronomat c’est la folie Breitling.
Plus cher et plus convoité que le Cosmograph Daytona, il était assurément le modèle à avoir pour se claquer les bretelles. Quelques exemples glanés çà et là :









La quête du Graal
Parmi les six générations de Chronomat 39 mm et plusieurs centaines de finitions différentes produites entre 1984 et 2004, je cherchais spécifiquement le B13350 qui ne fut disponible qu’en 1999. Il s'agit des premières versions certifiées par le COSC du Chronomat GT pour "Grands Totaliseurs" (en raison des réhauts qui ont été ajoutés sur les sous-cadrans). Je n'ai pas tenu le calcul des heures de traque passées sur les plateformes de ventes horlogères mais il en fallut moult. C'est finalement en Roumanie, dans une petite ville située au cœur de la Transylvanie que j'ai trouvé le Graal.
Vous savez la Transylvanie, les Carpates, le voïvode Vlad III dit "l'Empaleur" qui a inspiré un personnage fictif, nyctalope et assoiffé de sang. C'est d'ailleurs à sa gloire que fut créé un célèbre chant folklorique roumain intitulé « Tin, Vlad uboudin, Vlad uboudin ». Fin de la parenthèse culturelle.

Cette montre était proposée absolument complète : la sur-boîte, la boîte Breitling en bakélite made in France, la carte de garantie, le certificat de chronométrie, la notice, la facture d'achat à Genève en 1999 et, enfin et surtout, le fabuleux bracelet Rouleaux (j'y reviendrai). Tout est matching numbers. La montre en elle-même semblait dans un état proche du neuf. Compte-tenu du nombre de Chronomat que j'ai vu passer en annonces, il est vraiment rare de trouver un ensemble aussi complet et en si bel état. Affaire conclue.

Le lendemain du clic, la montre était chez moi ! DHL Express sait faire des miracles : plus de 2000 kilomètres de porte à porte en moins de 26 heures. Il faut dire qu'une Breitling qui voyage en Boeing triple 7, ça a de la gueule (le bilan carbone, c'est une autre histoire).
Le Chronomat en quelques anecdotes.
Je vous épargnerai un chapitre sur la longue histoire de Breitling et de son lien indéfectible avec l'aéronautique depuis des décennies. Disons compendieusement qu'entre les instruments de cockpit et les chronographes de poignet, il y a du Breitling dans tout ce qui vole. Du coup, porter une Breitling, c'est un peu comme avoir tatoué en gros sur le bras "je suis pilote" ou plus modestement "je suis passionné d'aéronautique".

À la fois pilote justement et homme d'horlogerie, Ernest Schneider qui reprend la maison en 1979 est le papa du Chronomat moderne sorti en 1984. Bien qu'en pleine crise du quartz, il veut absolument fournir aux professionnels de l'aviation un chrono qui soit à la fois un véritable instrument de travail et à la fois exclusivement automatique.
Loin du simple exercice de style par exemple, les cavaliers si caractéristiques du Chronomat mais que l'on retrouvera un an plus tard sur l'Aerospace, ont en réalité quatre fonctions que sont : préhension aisée avec des gants, lecture instantanée, protection du verre et possibilité de passer en lunette à rebours puisque les pièces "15" et "45" sont amovibles et interchangeables.
Une autre spécificité du Chronomat est d'être éprouvé à 20 G. Evidemment, ça fait sourire, un peu comme les plongeuses 500 ou 1000 mètres : mais qui grand Dieu va plonger à ces profondeurs ? Là c’est pareil, le jour où le client lambda prend 20 G, il aura les globes occulaires dans le trou de balle avant d'avoir le temps de se préoccuper de la montre.
Même un intercepteur moderne qui manœuvre serré en post combustion ne dépasse pas un facteur de charge de 11 G positifs, sous peine de voir le fuselage et les ailes mettre un terme prématuré à leur collaboration. Il n'existe finalement qu'une situation en aéronautique dans laquelle le corps peut subir un facteur de charge proche de 20 G, c'est l'éjection.
Avouez tout de même que cela reste (fort heureusement !) un club très fermé. Et là encore, un gars qui a rétréci de quelques millimètres à vie et qui vient de transformer un zinc à 52 plaques en outil de forage géothermique doit avoir d'autres priorités que la survie de sa Breitling.
Cela peut paraître étonnant pour un instrument aéronautique, le Chronomat est aussi étanche à 100 mètres. Je dis "étonnant" car quand un avion ou un hélico est sous l'eau, c'est quand même que quelque chose s'est mal passé à un moment donné. Plus sérieusement, Breitling a sans doute tiré de précieux enseignements du retour sur terre (disons plutôt en mer) de la capsule Aurora 7 en 1962. La célèbre Navitimer de l'astronaute Scott Carpenter n'ayant pas survécu à l'immersion.
Dans la vie courante, l'étanchéité du Chronomat a surtout été éprouvée dans les piscines d'hôtels, lors des escales des personnels navigants.

Oh ! elles sont déjà en maillot de bain, attendez-moi les filles !...
Dernière petite anecdote, chaque Chronomat a un minuscule "B" de Breitling gravé à un endroit spécifique. Même s’il est difficile à reproduire et régulièrement oublié par les contrefacteurs, mieux vaut ne pas en dire plus.
Finition de folie.
Breitling on aime ou on déteste mais s’il est bien une chose indiscutable c’est la finition époustouflante. Aucune photo de mon smartphone, aucun commentaire ne saurait retranscrire le soin apporté aux détails. Il faut réellement avoir la montre entre les mains pour bien comprendre, et je ne dis pas ça par chauvinisme parce que j'adore ce modèle. Non, sincèrement, c'est fin, c'est propre, tout est à sa place, c'est juste magnifique. Que ce soit les réhauts de totaliseurs, leurs aiguilles bleuies, le contre-poids de trotteuse représentant le logo Breitling, la littérature de cadran, tout est d'une finesse et d'une justesse absolument stupéfiantes. Le seul boîtier du Chronomat est constitué de 80 pièces et nécessitait 40 étapes d’assemblage. L’ensemble a une réelle profondeur, avec plusieurs niveaux de détails à admirer. Comme dirait un Top Chef, c’est une montre qui a « de la mâche, du croquant et du croustillant ».

Logo appliqué et cavaliers sont en or jaune 18K (75% or – 16% argent – 9% cuivre). Le bleu du cadran est divin en toute luminosité. Pour rester dans l'analogie aéronautique, il m’évoque le bleu des Vough Corsair F4U de l'Aéronavale.

Le traitement AR du verre saphir est parfait. Hyper efficace, sans pour autant donner se voile bleu-violet que je trouve si désagréable sur d’autres montres. Le fonctionnement de la lunette est une tuerie : clics fermes et zéro jeu, peut-être même un maniement un peu trop viril. Même souci d'efficacité en ce qui concerne le guichet date, très large, encadré de liserets et ouvrant sur un disque à la police ultra lisible, y compris par les vues qui baissent.

Boîtier et bracelet sont, sur cette version, satinés alors que polis miroir habituellement. Une finition qui contrebalance bien les touches d'or et la lunette polie. Les cornes sont courtes et totalement droites permettant à la carrure de se poser confortablement sur n'importe quel poignet, le bracelet seul se chargeant d'assurer le galbe. Autre choix bien vu, la découpe de carrure entre les cornes est droite. Plus de galère avec des pièces de bout ou des espaces disgracieux entre boîtier et bracelet, ici tout se monte, y compris n'importe quel acier à bout droit.
Le requin bleu qui habille mon Chronomat le temps de quelques photos est un Hirsch Navigator avec déployante Hirsch compatible Breitling (pas de perçage sur le brin long – plage de réglage continue).
J'en termine avec le fond de boîte qui est à l'avenant. Les frappes y sont profondes comme la Tranchée de Chattencourt, à l'épreuve des polissages les plus vigoureux (à l’exception du numéro de série en gravure laser).

Il me faut quand même trouver un défaut au Chronomat sans quoi je serais accusé de partialité. Ce défaut, pour moi, c'est la couronne oignon. J'imagine que Ernest Schneider a voulu faire un clin d'œil aux montres aviateur historiques, c'est sympa, mais franchement la préhension est très médiocre lorsqu'il s'agit de dévisser, visser ou remonter. C'est à mon sens dommage sur un instrument par ailleurs étudié pour être le plus fonctionnel possible.
Un hélicoptère à l'intérieur !
Bien que désormais manufacture, Breitling se fournissait encore, à l'époque du Chronomat 39, chez ETA. En l'occurrence une vieille connaissance puisqu'il s'agit du valeureux 7750 Valjoux (rebaptisé calibre B13 dans la nomenclature Breitling). Il n'y a peut-être pas de calibre chronographe plus clivant que celui-ci : on l'adore ou on le déteste mais il ne laisse personne indifférent. Au chapitre de ses atouts, il est d'une fiabilité et d'une précison qui sont désormais éprouvées depuis 1973. Avec un petit cœur qui bat tout de même à 28.800 A/h il est plutôt aisé à régler. Enfin, c'est un mouvement archi-connu sur lequel beaucoup d'horlogers ont fait leurs gammes, ce qui étend agréablement les possibilités de maintenance hors réseau.

Mais il n'est pas exempt de défauts, loin de là. C'est tout d'abord un mouvement économique, ne l'oublions pas. Raison pour laquelle sa présence dans des chronographes à plus de 3 ou 4000 euros fait débat mais c'est une autre histoire. Notons par exemple ses quelques pièces en Delrin ou encore le manque d'empierrage sur certains axes qui font tout de même bon marché, même si ça fonctionne plutôt bien. Mon Chronomat GT possède la version 25 rubis qui, hélas à l'exception du frein désormais en acier, n'apporte rien de plus que l'ancienne mouture (toujours du plastique ou un alésage pur et simple là où un rubis aurait été quand même bienvenu).
Mais au-delà des considérations purement techniques, il est bien un autre détail amusant qui contribue à rendre le 7750 adulé ou mal-aimé. On ne le surnomme pas l'hélicoptère pour des prunes. Sa conception à remontage automatique unidirectionnel fait que lorsqu'un mouvement un peu brusque entraîne le rotor dans son sens libre de rotation, ce dernier s'emballe littéralement et donne l'impression d'un Sikorsky au décollage ! De surcroît dans un boîtier assez massif comme l'est celui du Chronomat, la sensation est tout à fait semblable à celle d'une montre connectée équipée d'un vibreur. Ne vous marrez pas, il m'est arrivé de regarder le Chronomat pour voir qui m'appelait...
À l’usage, sur une période test de 30 jours durant laquelle le Chronomat a été porté sans discontinuité, la dérive fut très exactement de 54 secondes (+1,8 s/j). J’ai dû lire à deux fois le résultat tant je n’en croyais pas mes yeux. Car en toute honnêteté, je n’aurais jamais pensé que le Chronomat puisse conserver son ajustement COSC après 22 ans.
Le bracelet Rouleaux.
Chez les Roloboys, l'Oyster ou le Jubilé sont des institutions. Il en va de même chez les Breitlingholics qui ne conçoivent guère un Chronomat monté sur autre chose qu'un des deux mythiques bracelets de la maison, à savoir le Pilot (c.f. publicité en début de post) ou le Rouleaux. On le sait tous par expérience, il vaut toujours mieux acheter un peu plus cher une montre vintage équipée de son acier original, plutôt que de tenter de trouver le bracelet a posteriori. Cette deuxième option se soldant généralement par la perte des deux reins. Le Rouleaux n'échappe pas à la règle, puisqu'un exemplaire new old stock complet s'échange dans les 700 balles.
Je n'épiloguerai pas sur le design de ce bracelet, lui aussi très clivant. Mais il a le mérite d'être unique en son genre et permet d'identifier une Breitling à des kilomètres.
Par contre, ce qu’on ne peut lui contester, c’est son niveau de confort inégalable. C’est bien simple, c’est la DS Citroën du bracelet acier, « tu les sens les coussins d’huile là... ». On va voir pourquoi.
Léger problème dans mon cas (il en fallait bien un), le bracelet est trop court. Le vendeur m'avait indiqué un 18,5 ce qui est – était - ma taille. En vérité j'ai voulu faire ma coquette, un peu comme les filles qui sont persuadées de toujours rentrer dans des jeans XS, alors que j'aurais dû mesurer et m'apercevoir que les périodes de confinement et de chômage partiel ont été fatales à mon poignet (grossir du poignet, le cauchemar du mostrophiliste...)
Trouver des maillons pour ce bracelet si spécifique et dont la production chez Breitling a été arrêtée il y a une dizaine d'années, c'est coton. Mais c’est sans compter sur Gerard de swisstime1884 au Royaume-Uni. Ce gars adorable est spécialisé dans la fourniture de maillons pour bracelets Breitling ! C’est du marché niche ou je ne m’y connais pas. Toujours est-il qu’après quelques échanges très sympathiques le matin, mes maillons dans la bonne dimension et la bonne finition étaient expédiés l’après-midi même.


Je vous mets l’adresse du site au cas où cela puisse servir à quelqu’un : https://www.swisstime1884.com
Pour en revenir au confort incroyable de ce bracelet, il s’explique en trois points :
- chaque rouleau mesure environ 4 mm de diamètre ce qui autorise une flexibilité hors pair de l’ensemble et la garantie d’épouser parfaitement n’importe quel poignet.
- bien entendu les rouleaux sont par définition ronds mais cela vaut aussi pour leurs extrémités en forme de dômes. Il n’y a donc aucune aspérité, aucun angle vif, aucune arête susceptible de blesser la peau ou de tirer les poils.
- le meilleur pour la fin : le système d’assemblage. Il se constitue d’un axe, d’un tube fendu (qui maintient l’axe en force) et d’une entretoise qui accueille le tout. Axe et tube tournent dans l’entretoise qui elle-même tourne dans le maillon du bracelet. Cela s’apparente un peu à un roulement à billes et le résultat est surprenant : aucun grincement, aucun point dur, ce bracelet est totalement silencieux en toute circonstance.
Pour certains, le Rouleaux a malgré tout un défaut. En l’occurrence l’absence de micro-ajustements. Si un réglage est nécessaire, c’est passage obligatoire par l’établi et l’outil aux bracelets.

En conclusion
Le Chronomat reste d'un design très daté années 80/90 et ne correspond plus aux canons actuels de la beauté horlogère (l’histoire et les modes n’étant qu’un éternel recommencement, cela pourrait éventuellement changer). C'est en partie la raison pour laquelle il se trouve aujourd'hui à son juste prix sur le marché de la collection, contrairement à son concurrent Rolex entré, lui, dans une bulle spéculative surréaliste.
Situation qui a évidemment fait mon bonheur puisque, au-delà d’une montre à la qualité époustouflante, j’ai désormais au poignet à 50 piges, un rêve vieux de trente ans.

C’est d’ailleurs assez amusant car, pour l’anecdote, après avoir acheté le Chronomat j’ai retrouvé par le plus grand des hasards une montre que je portais vraisemblablement vers 1986/1987 alors ado. Elle était carrément sortie de mon souvenir mais m’a immédiatement confirmé que c’est bien le Chronomat qui me (nous) faisait baver à cette époque !

Et oui, les hommages existaient déjà dans les années 80. Sauf qu’il n’y avait pas Aliexpress, ni d’ailleurs de téléphones portables ou d’internet et que cette Action Besançon a dû être achetée au Prisunic du coin.
Bonne journée à tous.
