On va continuer sur le sujet des ratiocinations avec un autre truc qui me chagrine :
le sulfureux sujet des "équivalences".
De tous temps, l'homme a toujours classé les objectifs photographiques en fonction de leur distance focale (ou focale). Cette distance, en général exprimée en millimètres, mesure la puissance de convergence d'un objectif : plus la focale est courte et plus l'objectif a le pouvoir de courber les rayons lumineux qui le traversent.
Sur ce diagramme représentant un objectif réduit à une simple lentille biconvexe, la distance focale f' est la distance comprise entre le centre optique de la lentille et le plan image F' :
Crédit : WikipediaDans un objectif photographique comportant plusieurs lentilles, ce n'est pas aussi simple, mais il n'est pas utile ici d'entrer dans les détails.
Donc, on classe les objectifs par focale : ceux qui ont une courte focale sont des grands angulaires, ceux qui ont une longue focale sont des téléobjectifs et au milieu, il y a les objectifs normaux. Tout va bien tant que l'on parle d'un format unique de capteur (ou de film, ce qui revient au même). Par exemple, depuis les années 1970 jusqu'à l'avènement du numérique, la majorité des photos étaient prises sur film de cinéma 35mm avec un format d'image de 24x36mm. Donc, quand quelqu'un parlait d'un 24mm, tout le monde comprenait qu'il s'agissait d'un grand angulaire (mais pas un super grand-angle), bien adapté à la photo de reportage ou à la photo de rue lorsqu'on n'a pas beaucoup de recul. De la même manière, un 50mm était un objectif normal et un 85mm un objectif à portrait.
Et puis le numérique est arrivé, avec des dizaines de formats différents de capteurs, depuis les minuscules capteurs pour smartphones qui mesurent 3x4mm jusqu'au capteur de 32,8x43,8mm qui équipe le Pentax 645z (et il y a même des capteurs encore plus grands !). Et alors, il y a eu un
gros problème : la belle classification des objectifs en fonction de leur longueur focale n'était plus adaptée. Devant un capteur de smartphone, notre objectif de 24mm de tout à l'heure était un super-téléobjectif capable de prendre une photo de la lune plein cadre, tandis que devant un Pentax 645z, c'était un ultra grand-angle offrant une vision super-large.
À ce moment-là, Il aurait fallu prendre le problème à bras le corps et imposer une autre mesure pour classer les objectifs, comme par exemple l'angle de champ : un objectif ayant un angle de champ de 100° est un grand-angle, quel que soit l'appareil qui est derrière. Voici une classification grossière des objectifs par angle de champ :
- Les fish-eyes, ou objectifs "œil de poisson", couvrent jusqu'à 180°, voire plus, en déformant l'image ;
- Les objectifs grands-angulaires couvrent entre 70° et 122° ;
- Les objectifs normaux couvrent entre 40° et 65° ;
- Les téléobjectifs couvrent entre 18° et 35° ;
- Les super téléobjectifs couvrent moins de 15°.
Mais, au lieu de faire ça, les fabricants se sont dit qu'il ne fallait pas perturber les habitudes des utilisateurs et ils ont donc inventé la
focale équivalente. le principe est simple : on ramène tout au 24x36, qui était jusqu'alors la norme reconnue et on multiplie ou divise la focale réelle de l'objectif par un "coefficient de recadrage" dépendant du format du capteur pour obtenir un
équivalent 24x36.
Par exemple, le format dit APS-C (le format des réflex "petit capteur " ou "crop format") mesure 16,7 x 25,1mm, soit une diagonale à peu près 1,5 fois plus courte que celle du format 24x36mm. Le coefficient de recadrage (ou "crop factor") pour le format APS-C est donc de 1,5. Notre objectif de 24mm, quand on le met devant un capteur de format APS-C devient donc par l'opération du Saint-Esprit un "équivalent 36mm" (24mm x 1,5). De la même manière un 50mm sur un réflex à capteur APS-C devient un "équivalent 75mm" et ainsi de suite. Pour le format Micro 4/3, le coefficient est de 2, donc notre 24mm devient un "équivalent 48mm" et notre 50mm devient un "équivalent 100mm".
Certes les utilisateurs ont eu un sentiment de sécurité en retrouvant les bonnes vieilles longueurs focales auxquelles ils avaient été habitués au bon vieux temps du 24x36 triomphant. Mais un danger terrible est bien vite apparu : beaucoup ont rapidement oublié qu'il s'agissait de focales
équivalentes et ils ont pris ces chiffres pour la vraie distance focale de l'objectif. Leur 24mm est donc devenu un 36mm à part entière sur leur réflex APS-C et ils ont considéré que c'était un vrai 36mm, avec toutes les propriétés d'un objectif doté d'une distance focale de 36mm. Ce qui n'est bien sûr pas le cas. Un objectif de 24mm est un objectif de 24mm et ses propriétés photographiques sont celles d'un objectif de 24mm, notamment la profondeur de champ.
Une certaine confusion a donc commencé à régner, avec un joyeux mélange entre les
distances focales réelles et les
focales équivalentes. Par exemple, sur de nombreux forums, on a vu des utilisateurs demander par combien il fallait diviser la focale de leur 80mm conçu pour un appareil moyen format 6x6 s'ils le montaient sur un appareil avec un capteur 24x36. Ils étaient persuadés que leur 80mm (focale réelle) allait se transformer en un 50mm par le simple fait de le monter sur un autre appareil.
Pour ajouter encore à cette confusion, des petits malins ont également commencé à parler d'
ouverture équivalente. Leur raisonnement est le suivant : la profondeur de champ d'un objectif dépend de sa distance focale (réelle) or, pour obtenir un même angle de vision sur des capteurs de formats différents, la longueur focale varie. Par exemple, sur un capteur de format 24x36, prenons un objectif normal avec une focale de 50mm ouvert à F/1,4, et sur un capteur Micro 4/3, prenons un objectif normal de 25mm ("équivalent 50mm") également ouvert à F/1,4. La profondeur de champ est beaucoup plus réduite sur un 50mm que sur un 25mm. Donc, la profondeur de champ obtenue avec l'objectif normal sur un 24x36 sera très réduite, tandis qu'avec l'objectif normal sur le micro 4/3 elle sera beaucoup plus étendue, comme si l'objectif sur le capteur de petit format était plus fermé que celui sur le grand capteur (fermer un objectif étend la profondeur de champ). Et voilà, l'
ouverture équivalente était créée. Le coefficient de recadrage servant là aussi à calculer l'équivalent. Pour notre exemple, le 25mm ouvrant à F/1,4 devient donc un "équivalent 50mm F/2,8".
Bien entendu, cette "ouverture équivalente" ne vaut que pour la profondeur de champ. Mais là aussi, la confusion s'est installée entre "ouverture réelle" et "ouverture équivalente" et l'on a vu apparaître sur les forums tout un tas d'utilisateurs soutenant que l'ouverture équivalente définissait aussi la capacité d'un objectif à laisser passer la lumière et donc que les objectifs conçus pour les appareils à petits capteurs laissaient passer moins de lumière que les objectifs conçus pour les appareils à grands capteurs et qu'un objectif normal 25mm F/1,4 pour micro 4/3 était moins lumineux de deux diaphragmes qu'un objectif normal 50mm f/1,4 pour 24x36 ! L'ouverture d'un objectif, ça ne varie pas en fonction de la taille du capteur ; c'est la même chose que la hauteur de précipitation chez Météo France : s'il tombe 10mm de pluie, c'est toujours 10mm, que ça soit sur un balcon de 0,5m2 ou sur un terrain de football...
Arrêtons donc d'utiliser ces stupides "équivalences" qui ne sont que des sources de confusion. Un objectif a une focale et une ouverture, qui sont conséquences de sa construction optique, et qui ne varient aucunement en fonction du capteur qui est derrière. J'ai un objectif de 50mm F/5,6 pour mon appareil Fujica G690 qui fait des photos de 6x9cm sur film 120. Sur un appareil de format 6x9, le 50mm est un super grand-angle avec un angle de champ de plus de 90°, ouvert à F/5.6, ce qui n'est pas ridicule comme ouverture vu l'angle de champ et le format couvert. Quand je mets cet objectif devant un capteur 24x36, c'est toujours le même 50mm, son ouverture est la même (l'exposition ne varie pas par rapport au plus grand format), mais comme le capteur est beaucoup plus petit que le film du 6x9, seule une petite partie centrale de l'image transmise par l'objectif est utilisée par le capteur, conduisant à un "recadrage" qui réduit l'angle de champ à 47° (soit celui d'un objectif normal). Sur un appareil micro 4/3, le même objectif subit encore un nouveau recadrage en raison de la taille encore plus réduite du capteur et son angle de champ passe ainsi à 25° (soit celui d'un petit télé) mais l'exposition ne change pas car l'ouverture est toujours de F/5.6.
À titre de référence, voici un tableau comparatif des angles de champ des objectifs sur capteurs 24x36, APS-C, Micro 4/3 et 1 Pouce :
Et voici une série de photos prises du même point avec un appareil 24x36 et des focales comprises entre 17 et 320mm :
17mm :
24mm :
35mm :
50mm :
70mm :
90mm :
135mm :
200mm :
320mm :
Amitiés,
Abbazz